Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/23

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bonheur à une vieille société, ni même en garantir la durée dans une société qu’il fonderait et constituerait. A ses yeux, rien n’est précaire comme les régimes les meilleurs et les plus nobles. Ils ne subsistent que par un concours de vertus fatalement rare 1. Les Troglodytes se lassent de n’obéir qu’à leur conscience trop rigide et secouent le joug d’une liberté que les mœurs seules restreignent.

Nous touchons ici à la conception centrale de Montesquieu, à sa conception de l’Homme, pauvre être médiocre pour le bien et même pour le mal.

Dans tous ses écrits, il insiste sur le sentiment de notre faiblesse. Aussi n’est-il point de vertu qu’il recommande plus fortement que la modestie. Il en définit ainsi la forme la plus parfaite:

« L’humilité chrétienne n’est pas moins un dogme de philosophie que de religion. Elle ne signifie pas qu’un homme vertueux doive se croire plus malhonnête homme qu’un fripon, ni qu’un homme qui a du génie doive croire qu’il n’en a pas; parce que c’est un jugement qu’il est impossible à l’esprit de former. Elle consiste à nous faire envisager la réalité de nos vices et les imperfections de nos vertus2. »

Depuis l’époque où il rédigeait son premier chefd’œuvre, jusqu’à la veille de sa mort, Montesquieu est sans cesse revenu sur l’éloge de la modestie et sur la condamnation de l’orgueil, qu’il distingue avec soin d’une juste fierté, pure de dédain.

Usbek écrit dans la 144e Lettre Persane:

< Hommes modestes, venez, que je vous embrasse! Vous faites la douceur et le charme de la vie. Vous croyez que vous n’avez rien; et, moi, je vous dis que vous avez tout. »

Un article du Traité des Devoirs est conçu en ces termes:

« Une âme basse orgueilleuse est descendue au seul point

1. Pensées (manuscrites), tome I, page 534, et tome II, folios 10 et 17.

2. Pensies (manuscrites), tome I, page 20.