Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/271

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Je le connus, cet amour, un jour qu’étant chez une de mes parentes j’y vis une jeune personne d’une beauté ravissante. Mon âme étonnée se sentit frappée pour jamais. Mes yeux languissants se fixèrent sur elle. Je ne sais point si je lui plu ; c’étoit 5 une attention que je n’étois pas en état de faire.

Elle étoit étrangère, et deux vieux eunuques étoient chargés de son éducation. J’allai à eux, et je leur demandai avec larmes Ardaside (sic) en mariage. Ils me firent cent mille difficultés. Je leur proposai 10 tout ; ils furent incorruptibles. Je croyois que je mourrois à leurs genoux ; ils me laissoient mourir.

Quel fut mon étonnement un jour que, dans une tristesse et une langueur mortelle, j’allois chez eux faire parler ma douleur et mes larmes, ils me dirent i5 froidement: « On vous donne Ardaside. Elle est à vous. Vous êtes vertueux, et vous savez aimer. » Ce qu’ils me disoient, je ne pouvois le croire ; je me fis répéter cent fois qu’ils me la donnoient ; je demandai qu’on me menât dans l’appartement d’Ardaside. ao Dieux! qu’elle étoit charmante! Je ne sus que lui dire ; je pris sa main ; je la baisai mille fois. Sa taille, son air, sa beauté, ses regards, son silence, tout me ravissoit. On dressa les actes du mariage. Je voulois tout donner ; on ne vouloit rien. J’allai au Temple ; ab je la menai dans mon appartement, et je crus emporter avec moi l’Univers.

473* (2028. III, f° 3ig).— Une femme qui venoit de la part de la reine des Scythes parut. Elle portoit en présent au Roi une toile d’un travail 30