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Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/289

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Il se regardoit comme un homme public : il étoit d’un accès facile, et tout le monde étoit content de lui.

Il se tenoit dans un grand cabinet ; il avoit, au devant de lui, un bureau, et, aux deux côtés, en ligne parallèle, deux grandes rangées de livres : d’un côté étoient placés, en un bel ordre, tous les casuistes doux et bénins ; et, de l’autre, les casuistes qui affligent le cœur et sont en perpétuelle contradiction avec les pécheurs. io

La porte étoit vis-à-vis de son bureau, et il voyoit venir de loin ceux qui venoient le consulter ; il examinoit leur air et leur contenance et étudioit la situation de leur cœur : car, ayant à leur servir des mets différents, il vouloit en trouver qui fussent de is leur goût. Quand un homme venoit avec un air posé, des regards fixes et un peu tristes, et une grande régularité dans les habits, il se tournoit à droite, du côté des théologiens sévères, et le servoit à son plaisir. Mais, si un homme du monde, un abbé, 20 une femme coquette, venoient à lui, il se tournoit du côté des théologiens relâchés et les servoit encore à leur fantaisie : il faisoit pleuvoir la manne du Désert.

Ce métier n’étoit pas sans inconvénients. Il tomba 25 un jour dans un embarras épouvantable. Un homme si équivoque vint à lui, qu’il lui fut impossible de le démêler en le saluant et lui faisant des compliments. Son embarras parut, et, lorsqu’on exposa la question, il se tourna vingt fois, tantôt à droite, tantôt à 3o gauche, prit un auteur et son antagoniste ; enfin il