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Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/320

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des hommes, et, sans contredit, la plus mauvaise copie de l’homme est celle qui se trouve dans les livres, qui sont un amas de propositions générales, presque toujours fausses 5 Un malheureux auteur, qui ne se sent pas propre aux plaisirs, qui est accablé de tristesse et de dégoûts, qui, par sa fortune, ne peut pas jouir des commodités de la vie, ou, par son esprit, de celles de sa fortune, a, cependant, l’orgueil de prétendre 10 être heureux et s’étourdit des mots de souverain bien, de préjugés de l’enfance, et d’empire sur les passions.

Il y a deux sortes de gens malheureux.

Les uns ont une certaine défaillance d’âme, qui

i 5 fait que rien ne la remue. Elle n’a pas la force de rien désirer, et tout ce qui la touche n’excite que des sentiments sourds. Le propriétaire de cette âme est toujours dans la langueur ; la vie lui est à charge ; tousses moments lui pèsent. Il n’aime pas

20 la vie ; mais il craint la mort.

L’autre espèce de gens malheureux, opposée à ceux-ci, est de ceux qui désirent impatiemment tout ce qu’ils ne peuvent pas avoir, et qui sèchent sur l’espérance d’un bien qui recule toujours.

25 Je ne parle ici que d’une frénésie de l’âme, et non pas d’un simple mouvement. Ainsi un homme n’est pas malheureux parce qu’il a de l’ambition2 ; mais

1. Voyez les galériens fort gais. Allez, après cela, chercher un cordon bleu pour votre bonheur.

2. J’ai mis quelque part, dans ce volume (?), combien l’ambition donne de plaisirs.