Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/341

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qu’elle lui gardât un cœur qui lui étoit cher. On étoit si honnête, dans ce pays, qu’on vouloit faire voir à un étranger qu’on lui donnoit ce qu’on aimoit le mieux, et cela même doit faire penser qu’un homme auroit été bien fâché de perdre pour tou- 5 jours l’amour d’une femme qu’il abandonnoit pour un moment.

Il a fallu que de grandes sociétés se formassent pour que de certains préjugés devinssent généraux et donnassent le ton à tout le reste. io

Il y avoit deux peuples qui se disputoient d’antiquité : les Égyptiens et les Scythes.

Isis et Osiris régnèrent chez les Égyptiens ; ils furent mis au rang des Dieux. Isis eut la prééminence sur son mari, et, en elle, tout son sexe fut i5 respecté. Les Égyptiens se soumirent à leurs femmes en son honneur et se plurent tellement à cette servitude que, prenant soin de la maison, ils leur laissèrent toutes les affaires du dehors : elles succédèrent au royaume avec leurs frères, etc. î0

A l’égard des Scythes, l’Histoire nous apprend que quelques femmes tuèrent leurs maris, appelant le mariage non pas une alliance, mais une servitude. Elles fondèrent l’empire des Amazones, bâtirent Éphèse, et conquirent presque toute l’Asie. 25

Les préjugés des nations ont (sic) les mêmes préjugés que les empires. Il ne faut presque rien pour donner à un peuple les préjugés d’un autre, et le progrès peut être si grand qu’il change, pour ainsi dire, tout le génie de la nature humaine. C’est ce 3o qui fait que l’homme est si difficile à définir.