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Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/386

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généreuses lorsqu’elles voyent arriver l’instant d’une vengeance que la crainte avoit étouffée. Il se prépare contre la Bourgogne, et, comme s’il eût voulu appeler en jugement les mânes du duc Charles, 5 lui qui, pendant qu’il avoit un soupir, n’avoit jamais eu la hardiesse de le trouver coupable, il l’accusa de félonie et confisqua les terres qui relevoient de lui.

Il s’étoit fait une dévotion, non pas contre le 10 crime, mais contre les remords. A mesure qu’il remplissoit les prisons, inventoit des supplices, augmentoit les impôts, il redoubloit de pèlerinages, de vœux et de fondations, se couvroit de reliques, rendoit de nouveaux cultes aux Saints. Il sembloit i5 qu’il voulût transiger avec le Ciel pour son dédommagement, et ce qui ne peut servir qu’à empêcher les autres de se désespérer étoit le fondement de sa hardiesse.

Enfin, ses craintes, ses méfiances, sa mauvaise 20 santé, le conduisirent au château de Plessis-lesTours, où il paroît qu’il étoit le plus malheureux de tous les hommes. Misérable prince, qui trembloit à la vue de son fils et de ses amis mêmes, qui voyoit le péril où les autres trouvent leur sûreté, qui ne 23 confioit sa vie qu’à des satellites, comme si, pour qu’il vécût, il étoit nécessaire qu’il fît violence à tous les gens de bien.

Il craignit la mort jusqu’à l’extravagance. Il paroît pourtant que le compte terrible qu’il avoit à rendre 3o fut le moindre de ses soins : car il ne vouloit point qu’on priât Dieu pour son âme. Il ne pouvoit se