Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/398

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de sa puissance, feignit de s’armer, sachant bien qu’il ne risquoit point de faire la guerre au moment de la paix. Enfin, les deux roix traitèrent sans les Savoyards et les Vénitiens. Les monarques se jouent

5 des petits princes, comme la Fortune se joue des monarques1. On fit la paix sans les parties qui avoient fait si heureusement la guerre, et on appela dignité le mépris des alliés.

Protection des grands princes, chez lesquels

10 défendre est assujettir ; chose qui est même vraie entre particuliers.

Charles-Emmanuel, duc de Savoye, dans un petit état où sa fortune étoit comme enchaînée, avoit l’âme de César. Il s’indignoit contre le Destin, qui

i5 ne l’avoit fait souverain que pour le rendre dépendant : d’autant moins libre qu’il étoit né pour l’être ; dans une situation d’autant plus triste qu’il ne pouvoit ni commander, ni obéir. Ce prince, mesurant sa puissance par sa dignité ou par son ambition, osa,

20 malgré l’Europe entière, faire la guerre au duc de Mantoue et montrer de l’orgueil devant les Espagnols. Pour lors, la France s’unissoit d’intérêts avec l’Espagne, comme si ce n’étoit pas déjà trop de ne point secourir les princes d’Italie, sans aider

»5 encore à les opprimer. Mais, pour lors, la politique n’étoit employée qu’à assurer la fortune d’un indigne favori. Concinno (sic) ne songeoit qu’à une retraite qu’il prévoyoit déjà nécessaire. Il fut assassiné, comme s’il avoit été un duc de Guise.