Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/404

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faisoit reprendre sur les Grands. Favori, sans avoir le cœur, jaloux même des talents médiocres, pensant moins à exercer qu’à signaler son ministère ; homme, enfin, qui avoit toujours de l’ascendant sur les esprits

5 et jamais de l’empire sur les cœurs. Il se soutint sans faveur, uniquement par son propre génie et par la grandeur des affaires. Il fit jouer à son monarque le second rôle dans la Monarchie et le premier dans l’Europe. Il avilit le Roi, et honora le règne, et ôta

10 les lauriers de toutes ses victoires.

Il faut avouer que les moyens qu’il employa pour saisir l’esprit du Roi n’étoient pas de ces moyens communs qui réussissent si bien dans les cours aux âmes viles. Il laissa le poste de favori sous lui ; il prit

i5 le Prince du côté de la sûreté, de la gloire, et, par là, il se rendit maître d’un homme également soupçonneux, jaloux et ambitieux, mais ambitieux comme un particulier est avare, et qui n’avoit d’un grand homme que quelque envie de le devenir.

20 Il parvint à mettre le Prince dans cet état que ses intérêts n’étoient plus séparés de ceux de son ministre, qui, ayant irrité tous les Grands, lui rendoit nécessaires ses victoires contre les ennemis du dehors. Enfin, il ne fut autre chose que l’instrument

2b de la grandeur du Cardinal, et (comme j’ai dit) son secret fut de donner toujours au Roi plus d’affaires qu’il n’en pouvoit porter.

Marillac porta jusque sur l’échaffaud la réputation de son innocence. Le maréchal de Montmorenci fut 3o pleuré de ceux-mêmes qui le condamnèrent, pendant