Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/405

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que l’implacable Cardinal s’indignoit de la pitié universelle et rendoit le Roi aussi inflexible dans sa justice qu’il l’étoit lui-même dans sa haine. Ainsi il ne faut qu’un jour pour effacer devant les princes les actions de mille années. 5

M. de Cinq-Mars avoit l’âme grande, l’air noble, des amis et de l’ambition, même avant d’être favori. Le Cardinal avoit mis dans ses mains la faveur du Roi, comme un dépôt qu’il devoit lui rendre : il vouloit qu’il se contentât de l’honneur d’amuser le 1o Roi. Mais une telle modération n’étoit point faite pour M. le Grand, qui cherchoit à se signaler par tout ce qui peut faire les grands hommes : car il demandoit de commander dans les armées et vouloit entrer dans les affaires. Enfin, ces deux hommes i5 portèrent si loin leurs inimitiés qu’ils ne laissèrent plus le Roi le maître de les souffrir tous deux.

Les Huguenots, bien embarrassés sous Louis XIII. Les grands de leur parti avoient abandonné les mânes de leurs pères : Condé, pour de l’argent ; La ïo Force, pour le bâton de maréchal de France ; Lesdiguières, pour être connétable. Le seul Rohan faisoit revivre l’Amiral dans un temps où les secours étrangers n’étoient plus ; où Jacques n’étoit qu’un vain fantôme de ce héros connu sous le nom d’Élisabeth ; 25 où le zèle étoit ralenti ; où la paix avoit énervé les courages ; où les capitaines et les soldats étoient devenus des citoyens ; où la religion nouvelle cornmençoit à prendre la tiédeur de l’ancienne ; où l’air