Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/485

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Or, la philosophie et les préjugés enseignoient aux Payens que les sensations étoient des attributs de la matière. Il falloit donc qu’ils tirassent nécessairement une de ces deux conséquences : ou que l’âme étoit matérielle ; ou, tout au moins, que le 5 corps étoit capable de sentiment. Or, si le corps est capable ’ de sentiment, pourquoi lui refuser la pensée ? Certainement l’un ne répugne pas plus que l’autre.

Quoique la ph[ilosoph]ie payenne, telle qu’elle i« étoit, ne pût pas démontrer qu’il y eût des esprits, je ne dis pas, pour cela, qu’elle n’en admît. Ce que je dis, c’est que la première idée qui se présentoit à l’esprit des Payens, comme au nôtre, étoit celle de la matière. »s

Et, quand la connoissance des choses sensibles les élevoit jusqu’à leur auteur, elle ne pouvoit leur donner que l’idée d’un ouvrier, qui avoit fabriqué le Monde, à peu près comme un artisan compose une machine, et les Cieux, qui annoncent la gloire du 2° Créateur, ne leur pouvoient point faire connoître sa nature. C’étoit par le ministère des sens que l’Homme s’étoit persuadé de l’existence de Dieu ; c’étoit aussi par eux qu’il croyoit devoir juger de son essence. 25

Quand l’Homme eut une fois reçu ce principe que Dieu étoit matériel, il n’en resta pas là, et l’imagination se porta naturellement à déterminer sa figure. Il jugea que la beauté devoit être un de ses principaux attributs, et, comme l’Homme ne trouve rien 3o de plus beau que lui-même, il eût cru faire tort à