Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/85

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Enfin, dans les romans ordinaires, les digressions ne peuvent être permises que lorsqu’elles forment elles-mêmes un nouveau roman. On n’y sauroit mêler de raisonnements, parce qu’aucun des personnages n’y ayant été assemblé pour raisonner, 5 cela choqueroit le dessein et la nature de l’ouvrage. Mais, dans la forme de lettre, où les acteurs ne sont pas choisis, mais forcés, et où tous les sujets qu’on traite ne sont dépendants d’aucun dessein ou d’aucun plan déjà formé, l’auteur s’est donné 10 l’avantage de pouvoir joindre de la philosophie, de la politique et de la morale, à un roman, et de lier le tout par une chaîne secrète et, en quelque façon, inconnue.

Les Lettres persanes eurent, d’abord, un débit si i5 prodigieux que les libraires de Hollande mirent tout en usage pour en avoir des suites. Ils alloient tirer par la manche tous ceux qu’ils rencontroient: « Monsieur, disoient-ils, faites-moi des Lettres persanes. » 20

Mais ce que je viens de dire suffira pour faire voir qu’elles ne sont susceptibles d’aucune suite, et encore moins d’aucun mélange avec des lettres écrites d’une autre main, quelque ingénieuse qu’elle puisse être. a5

Il y a, dans les premières lettres, quelques traits qu’on a jugés trop hardis. Mais on prie de faire attention à la nature de cet ouvrage. Les Persans qui devoient jouer un si grand rôle dans ces lettres se trouvoient tout-à-coup transplantés en Europe. 30 Il y avoit un temps où il falloit les représenter