Page:Montesquieu Esprit des Lois 1777 Garnier 1.djvu/102

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Éloge

dans une ame neuve que le commerce des hommes n’a point encore corrompue. L’auteur craignant peut-être qu’un tableau si étranger à nos mœurs, ne parût trop languissant & trop uniforme, a cherché à l’animer par les peintures les plus riantes. Il transporte le lecteur dans des lieux enchantés, dont à la vérité le spectacle intéresse peu l’amant heureux, mais dont la description flatte encore l’imagination, quand les désirs sont satisfaits. Emporté par son sujet, il a répandu dans sa prose ce style animé, figuré & poëtique, dont le roman de Télémaque a fourni parmi nous le premier modele. Nous ignorons pourquoi quelques censeurs du temple de Gnide ont dit à cette occasion, qu’il auroit eu besoin d’être en vers. Le style poëtique, si on entend, comme on le doit par ce mot, un style plein de chaleur & d’images, n’a pas besoin, pour être agréable, de la marche uniforme & cadencée de la versification : mais, si on ne fait consister ce style que dans une diction chargée d’épithetes oisives, dans les peintures froides & triviales des ailes & du carquois de l’amour, & de semblables objets, la versification n’ajoutera presqu’aucun mérite à ces ornemens usés : on y cherchera toujours en vain l’ame & la vie. Quoi qu’il en soit, le temple de Gnide étant une espece de poëme en prose,