Page:Montesquieu Esprit des Lois 1777 Garnier 1.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xcvij
de M. de Montesquieu.

c’est à nos écrivains les plus célebres en ce genre à fixer le rang qu’il doit occuper : il mérite de pareils juges. Nous croyons du moins que les peintures de cet ouvrage soutiendroient avec succès une des principales épreuves des descriptions poétiques, celle de les représenter sur la toile. Mais ce qu’on doit sur-tout remarquer dans le temple de Gnide, c’est qu’Anacréon même y est toujours observateur & philosophe. Dans le quatrieme chant, il paroît décrire les mœurs des Sibarites ; & on s’aperçoit aisément que ces mœurs sont les nôtres. La préface porte sur-tout l’empreinte de l’auteur des lettres persanes. En présentant le temple de Gnide comme la traduction d’un manuscrit grec, plaisanterie défigurée depuis par tant de mauvais copistes, il en prend occasion de peindre d’un trait de plume l’ineptie des critiques & le pédantisme des traducteurs, & finit par ces paroles dignes d’être rapportés : « Si les gens graves désiroient de moi quelque ouvrage moins frivole, je suis en état de les satisfaire. Il y a trente ans que je travaille à un livre de douze pages, qui doit contenir tout ce que nous savons sur la métaphysique, la politique & la morale, & tout ce que de très-grands auteur ont oublié dans les volumes qu’ils ont donnés sur ces sciences-là ».