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de l’esprit des Lois,


Lorsque cette vertu cesse, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir, & l’avarice entre dans tous. Les désirs changent d’objets ; ce qu’on aimoit, on ne l’aime plus ; on étoit libre avec les lois, on veut être libre contr’elles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître ; ce qui étoit maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui étoit regle, on l’appelle gêne ; ce qui étoit attention, on l’appelle crainte. C’est la frugalité qui y est l’avarice, & non pas le désir d’avoir. Autrefois le bien des particuliers faisoit le trésor public, mais pour lors le trésor public devient le patrimoine des particuliers. La république est une dépouille ; & la force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens & la licence de tous.

Athenes eut dans son sein les mêmes forces pendant qu’elle domina avec tant de gloire, & pendant qu’elle servit avec tant de honte. Elle avoit vingt mille citoyens[1], lorsqu’elle défendit les Grecs contre les Perses, qu’elle disputa l’empire à Lacédémone, & qu’elle attaqua la Sicile. Elle en avoit vingt

  1. Plutarque, in Pericle. Platon, in Critiâ.