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De l’esprit des Lois,

l’intérêt civil, (car c’est toujours un inconvénient, que le peuple juge lui-même ses offenses ;) il faut, pour y remédier, que les lois pourvoient autant qu’il est en elles à la sureté des particuliers.

Dans cette idée, les législateurs de Rome firent deux choses ; ils permirent aux accusés de s’exiler[1] avant le jugement[2] : & ils voulurent que les biens des condamnés fussent consacrés, pour que le peuple n’en eût pas la confiscation. On verra dans le livre XI les autres limitations que l’on mit à la puissance que le peuple avoit de juger.

Solon sut bien prévenir l’abus que le peuple pourroit faire de sa puissance dans le jugement des crimes : il voulut que l’Aréopage revît l’affaire ; que, s’il croyoit l’accusé injustement absous[3], il l’accusât de nouveau devant le peuple ; que, s’il le croyoit injustement condamné[4], il arrêtât l’exécution, & lui fit rejuger l’affaire : Loi admirable,

  1. Cela est bien expliqué dans l’oraison de Cicéron pro Ccinnâ, à la fin.
  2. C’étoit une loi d’Athenes, comme il paroît par Démosthene. Socrate refusa de s’en servir.
  3. Démosthene, sur la couronne, pag. 494. édit. de Francfort, de l’an 1604.
  4. Voyez Philostrate, vie des sophistes, liv. I. vie d’Eschines.