Page:Montesquieu Esprit des Lois 1777 Garnier 1.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lxv
de M. de Montesquieu.

temps auparavant, renoncé à tout autre travail, pour se livrer entiérement à son génie & à son goût. Quelque importante que fût la place qu’il occupoit, avec quelques lumieres & quelqu’intégrité qu’il en eût rempli les devoirs, il sentoit qu’il y avoit des objets plus dignes d’occuper ses talens ; qu’un citoyen est redevable à sa nation & à l’humanité de tout le bien qu’il peut leur faire ; & qu’il seroit plus utile à l’une & à l’autre, en les éclairant par ses écrits, qu’il ne pouvoit l’être en discutant quelques contestations particulieres dans l’obscurité. Toutes ces réflexions le déterminerent à vendre sa charge. Il cessa d’être magistrat, & ne fut plus qu’homme de lettres.

Mais, pour se rendre utile par des ouvrages aux différentes nations, il étoit nécessaire qu’il les connût. Ce fut dans cette vue qu’il entreprit de voyager. Son but étoit d’examiner par tout le physique & le morale ; d’étudier les lois & la constitution de chaque pays ; de visiter les savants, les écrivains, les artistes célebres ; de chercher sur-tout ces hommes rares & singuliers, dont le commerce supplée quelquefois à plusieurs années d’observations & de séjour. M. de Montesquieu eût pu dire, comme Démocrite : « Je n’ai rien oublié pour m’instruire : j’ai quitté mon pays, & parcouru l’univers, pour mieux con-