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Éloge

pu blesser sans fruit, a eu la prudence de les envelopper, & par cet innocent artifice, les a voilées à ceux à qui elles seroient nuisibles, sans qu’elles fussent perdues pour les sages.

Parmi les ouvrages qui lui ont fourni des secours, & quelquefois des vues pour le sien, on voit qu’il a sur-tout profité des deux historiens qui ont pensé le plus, Tacite & Plutarque : mais, quoiqu’un philosophe qui a fait ces deux lectures soit dispensé de beaucoup d’autres, il n’avoit pas cru devoir en ce genre, rien négliger ni dédaigner de ce qui pouvoit être utile à son objet. La lecture que suppose l’esprit des lois est immense ; & l’usage raisonné que l’auteur a fait de cette multitude prodigieuse de matériaux paroîtra encore plus surprenant, quand on saura qu’il étoit presqu’entiérement privé de la vue & obligé d’avoir recours à des yeux étrangers. Cette vaste lecture contribue non-seulement à l’utilité, mais à l’agrément de l’ouvrage. Sans déroger à la majesté de son sujet, monsieur de Montesquieu sait en tempérer l’austérité, & procurer aux lecteurs des momens de repos, soit par des faits singuliers & peu connus, soit par des allusions délicates, soit par ces coups de pinceau énergiques & brillans, qui peignent d’un seul trait les peuples & les hommes.