Page:Montfort - Vingt-cinq ans de litterature francaise 2.djvu/79

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que tous nos contemporains ; je ne partage pas tout à fait leur avis. Certes, si l’agrément de la langue, la science du rythme et des consonances, un sens merveilleux du monde visible et une adresse aiguë à rendre en toutes leurs nuances, et dans des paroles veloutées, ses plus âpres et ses plus pittoresques sensations, suffisaient, joints à un esprit facile et gouailleur, à faire un grand romancier, Mme Colette serait un grand romancier. Mais, jusqu’ici, il lui manquait le don de s’extérioriser et de composer.

Si l’on excepte, en effet, le récent Chéri (1920), et des fantaisies comme Mitsou (1919) qui ne passent guère le ton de La Vie Parisienne, Mme Colette n’a jamais su nous parler que d’elle-même. D’autre part, elle a souvent gâté ses lucides dons d’analyste en écrivant pour plaire, en pipant ses souvenirs, en flirtant avec son lecteur ; elle dose alors, sans souci de l’âpre vérité psychologique, un mélange de pudeur factice, de sensualité roublarde et de sensiblerie dont le charme est immédiat, mais qui, pas plus que la « beauté du diable » ne saurait résister au temps.[1]

Nullement spontanée, quoiqu’on croie, ni dans son admirable style travaillé[2], ni dans ses analyses personnelles, Mme Colette a réussi à se faire passer pour « instinctive ». « Instinctive », « soumise à l’instinct », telle fut, durant les quelques quinze premières années du siècle, la plus grande louange que les critiques semblaient pouvoir décerner à une autoresse. Je ne vois guère que Rémy de Gourmont

    M. Henri de Jouvenel, elle a, depuis, adopté le pseudonyme « Colette ». Durant plusieurs années, Mme Colette a exercé au music-hall la profession de danseuse et de mime, dont on trouvera la trace littéraire dans certaines pages des Vrilles, et dans presque tout l’Envers et toute la Vagabonde.

  1. Est-ce auprès d’un Stendhal ou d’un Proust qu’on oserait la dire profond psychologue ? Est-ce même auprès d’un A. Daudet ou d’un Dickens qu’on accordera de la vie à ses pantins d’avant 1920 ?
  2. Voir tel aveu de « femme de lettres » dans la Vagabonde (1910).