Page:Montfort - Vingt-cinq ans de litterature francaise 2.djvu/80

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qui ait su résister à l’engouement littéraire suscité par la Retraite sentimentale et La Vagabonde, et en apprécier exactement la portée.

Mme Colette a de l’esprit, — mais cet esprit boulevardier dont les racines ne sont pas profondes et qui risque de rendre exaspérantes dans l’avenir des pages que relèvent pourtant des beautés de style supérieures.

Nul, en effet, ne saurait songer à nier son merveilleux métier ni surtout cette prose rythmée, souple, charnelle, d’une câline et subtile sensualité qui, ajoutant à sa pittoresque mémoire, fait d’elle un rare et troublant styliste. Mais quel malheur qu’elle n’emploie point son instrument à nous jouer d’autre musique ! Comment ne pas déplorer sa complaisance envers la turpitude, la bassesse, la méchanceté, — trop significative dans Chéri, son premier roman composé ?… Ni Molière, ni Laclos, ni Lesage, ni Balzac, n’ont voulu peindre des enfants de chœur ; mais dans leurs plus inquiétantes compositions, je ne sais quelle nuance, quelle démarche trahissait le moraliste et mettait en garde le lecteur. La sympathie égayée de Mme Colette est infiniment dangereuse et l’on ne peut regarder comme un chef d’œuvre un livre où tout ce qui fait la seule valeur de l’homme est paisiblement bafoué.

L’hérédité et le milieu, autant qu’un don naturel, devaient tourner Mme d’Houville[1] vers la littérature, encore que personne moins qu’elle ne soit femme de lettres : en vain la presse-t-on de réunir ses vers dispersés et parfois anonymes. Peut-être, d’ailleurs, aurait-on quelque déception à les lire en volume ; qui

  1. Née à Paris, (fille du poète José-Maria de Hérédia, d’origine cubaine), a épousé en 1896 M. Henri de Régnier ; a eu d’abord pour beaux-frères M. Pierre Louys et M. Maurice Maindron, puis M. Gilbert de Voisins et M. René Doumic.