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IL REJETTE LA COURONNE D'ÉPINES


a la mémoire
de Jacques Dejoie,
Lieutenant au 152e d’infanterie,
décoré de la Croix de guerre,
Chevalier de la Légion d’honneur,
mort pour la France le 12 juin 1917,
à l’âge de 22 ans.


Au collège, il le connaissait à peine, ce mort qui avait son âge. Depuis le collège, combien de fois lui avait-il parlé ? Trois, quatre fois, peut-être. Ils ne s’étaient jamais écrit, il n’avait jamais su son adresse, il n’avait pas souvenir d’une seule parole entre eux qui fût plus qu’une parole banale. Et voici qu’il était là, sachant depuis six mois cette mort, et pourtant, devant cette mauvaise petite brochure, pourtant les mains tremblantes et la fièvre au haut des joues.

« Et moi ? Et moi ? » Pour la quatrième, cinquième fois, comme le regard invinciblement revient vers un cadavre ; pour la quatrième, cinquième fois, comme on reprend pour en mourir le journal où est seulement imprimé le nom de celle qu’on pensait n’aimer plus ; pour la quatrième, cinquième fois, il reprit le Bulletin et relut.

C’étaient ses efforts, ses espoirs, le jour qu’il prit une mitrailleuse, et puis toutes les phrases des vingt ans : « Quand je reviendrai, il faudra... », « Je sais bien que je suis protégé... », toutes ces affirmations de vie qui sont toujours inscrites sur des tombes. Il lisait et il lui semblait que chacune des lignes écrites par le bon prêtre avait été écrite en pensant à lui, Alban de