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LE FRONT CONTRE LA VITRE

notre langue qui, à cause de ses origines lointaines, ne mérite pas toujours des arrêts hâtifs et sans fondement.

Notre accent reflète aussi nos antécédents. Il existe, car sitôt que nous sortons de notre pays nous le distinguons entre mille, mais d’où est-il ? Vous le cherchez peut-être depuis que j’ai l’honneur de vous parler ? Il m’a semblé le retrouver en Normandie, puis dans les Charentes où j’ai frémi d’aise en écoutant le paysan que mon émoi laissait indifférent ; mais on m’a dit à Paris qu’il était russe, sinon même belge. « Laissez que je vous écoute, disait un Français au sénateur Dandurand, je viens de traverser la France et je cherche de quelle province vous pouvez être : est-ce de Québec ou de Montréal ? » Voilà la vérité, c’est « un accent total, il les a tous été ». Il faut s’y habituer avant de le proscrire et se rappeler qu’il n’est pas anglais, mais qu’il nous a été transmis, comme la langue qu’il fléchit, et qu’il chante encore dans quelque province de France où il est permis d’en sourire sans que rien n’autorise à le renier.

Ne sied-il pas, enfin, de considérer que notre parler a vécu sa vie dans l’isolement complet, séparé par une irrémédiable distance ? Qu’y aurait-il d’étonnant à ce qu’il eût perdu, dans le flottement des mémoires, quelques sonorités ou quelques syllabes ? Et cela, au milieu des plus grandes pénuries : nos pères ont copié de leur main les Méditations de Lamartine et, dans un couvent d’Ursulines, aux Trois-Rivières, une grammaire, placée sur un lutrin, feuil-