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DISCOURS À L’ACADÉMIE DE BELGIQUE

letée par la seule institutrice, et avec les précautions que l’on met à toucher une relique, a servi pendant des années à guider les enfants qui venaient lui demander avec respect une part du merveilleux héritage. Voilà bien le miracle canadien. Il fut accompli par un peuple que rien n’a rebuté et dont la tranquille décision a vaincu tous les obstacles. Fils de France, il est resté obstinément fidèle à la culture française ; et, aujourd’hui qu’il possède la force d’une nation, c’est encore elle qu’il veut faire triompher sur une terre où sa loyauté lui a mérité de vivre ses propres destinées.

Dans cet abandon que nous ne déplorons plus, une littérature s’est exprimée, et l’on soupçonne au prix de quels tourments : on ne sait plus où s’arrête l’anglicisme si ce n’est sûrement pas aux portes de l’Académie française, et l’on n’ose pas lancer des mots qui sont peut-être de meilleur timbre que ceux que l’autorité consacrera demain ; l’archaïsme est condamné par l’usage et c’est se vouer à n’être pas entendu que de lui rester fidèle ; le canadianisme ne dépasse pas les limites de notre horizon et c’est espérer trop que de le voir pénétrer dans le grand tout d’une langue qui se façonne dans un foyer aussi lointain que Paris ; l’usage même est hésitant que l’on nous impose comme une norme, si malgré que se rencontre partout, sauf chez quelques puristes attardés, si dans le but, que l’on réprouve au nom de la logique, prend place jusque dans des livres que les philologues consacrent à la langue française ; s’il n’est pas trop d’Émile Faguet, d’Anatole France et de Raymond Poincaré pour ne plus savoir s’il faut écrire inlassable