Page:Montpetit - Au Service de la Tradition française, 1920.djvu/72

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souvenir qu’il garde de cet homme haut et fort, d’allure puissante, parlant bas, laissant tomber avec une sorte de négligence les mots qui lui viennent, vifs ou mordants. Il n’aimait pas qu’on pût le vaincre, fût-ce même aux cartes.[1] Il était gourmet, ce qui est une qualité française. Il l’avouait en confidence et demandait qu’on n’en laissât rien savoir à ses adversaires. Veuillot et la bonne chère, quel article à faire pour un ennemi ! Il aimait la musique. Il ne permettait pas qu’on touchât à Mozart avec autre chose que du talent ; il prisait par-dessus tout son ami Gounod qu’il écoutait, aux Mouettes, jouer « des opéras entiers »[2] Il blaguait souvent la « vieille guenippe de gloire », dont il acceptait sa part avec une sorte de méfiance qu’il cachait sous de la bonne humeur. Car il riait volontiers, et la vieillesse ne lui avait rien ravi de sa gaieté : « Tout vieux, tout courbaturé, écrit-il, tout toussant et tout ennuyé de causer, l’encre aux doigts, avec d’intolérables quantités de fichues bêtes, il est positif que je suis gai comme pinson ».[3] Plus tard, il est vrai, il retrouva le doute : sa vie lui parut bien dure et il se demanda avec mélancolie jusqu’où il l’avait réussie. Il

  1. Veuillot aimait jouer au grabuge — Voir un article du marquis de Ségur sur Louis Veuillot intime, reproduit du Gaulois : Le Devoir, 8 novembre 1913.
  2. Marquis de Ségur, ibidem
  3. À Léontine Fay, le 8 avril 1873