Page:Montpetit - Au Service de la Tradition française, 1920.djvu/71

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dût décamper et me laissa fort triste dans mes liens nouveaux, qui, un beau jour, se trouvèrent sacrés. Voici l’horreur. Toute sacrée qu’elle est, madame Polémique ne laisse pas de m’ennuyer souvent ; même elle m’assomme, et quand elle apporte les arrérages de sa dot, je voudrais la noyer dans un puits. » Mais l’autre, la poésie, revient. Elle le trouble et l’enchante. Il la chasse vainement. Elle l’obsède ; il en oublie tout. Et voilà que Veuillot parle comme un petit clerc d’avoué qui ferait des vers sur la couverture d’un dossier : « Je reste à écouter mon enchanteresse qui n’a jamais fini son conte, et, si je prends la plume, c’est pour verser ce qu’elle m’a mis dans la tête sur le dos de mes papiers les plus pressants »[1]. Veuillot vaincu par la poésie, n’est-ce pas inattendu ?

Ce Veuillot, si différent de l’autre, fut longtemps inconnu. Sainte-Beuve pourtant l’avait deviné qui, l’ayant rencontré, s’étonna de le trouver charmant. Certes, la légende n’a pas flatté Veuillot. Il était, dans l’intimité, d’un commerce agréable. Il n’était pas un homme du monde, mais un honnête homme, dans le sens où on le prenait jadis. Il se plaisait à la conversation et, d’ailleurs, était un causeur merveilleux. Le marquis de Ségur, qui, tout enfant, en eut quelque terreur, nous a dit le

  1. Revue des Deux-Mondes : Lettres de Louis Veuillot à Léontine Fay, livraison du 15 août 1913. pp. 868-9.