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LE CRAPET CALICOT

Ah ! le crapet ! voilà une locution essentiellement canadienne que nous avons tous entendue de la bouche de nos mères, lorsque pour une taquinerie, une méchanceté, un mauvais tour, elles nous menaçaient de taloches de velours. Ah ! le crapet ! Cela voulait dire : « On a beau le prendre par un bout ou par l’autre, il est toujours hérissé, prêt à nous faire mal, c’est un crapet. »

Les États-Unis réunissent les vingt-cinq espèces de crapets que nous groupons sous la classe secondaire de centrarchidés, lorsque le Canada n’en compte que cinq espèces bien distinctes. Nous en avons peut-être davantage, mais le peu d’encouragement donné jusqu’ici aux études ichthyologiques, dans notre pays, n’a pas permis aux disciples de Walton les plus entreprenants de s’en assurer.

Le crapet calicot, originaire des grands lacs qu’il habite encore, a dirigé d’abord ses migrations vers le cours du Mississipi où il est allé rejoindre son frère, le crappie, sybarite des bayous et des eaux bourbeuses du pays de la canne à sucre, du tabac et du coton, sans cependant partager ses mœurs ni son habitat.

Le canal Rideau où le premier coup de bêche fut donné en 1826, et le dernier, en 1834, mit en communication les deux villes de Kingston et d’Ottawa, la première étant alors un des joyaux de la couronne, la dernière assise dans un log-house, mangeant du pain dur gagné à la hache plutôt qu’à la charrue, et ne voyant pas même en rêve les destinées qui l’attendaient, ce diadème de capitale du Canada, si bien représenté par les édifices parlementaires couronnant ses hautes falaises.

Trop timide, le calicot avait hésité jusque-là à risquer l’aventure dans les eaux tourmentées des rapides du grand fleuve Saint-Laurent, mais il se laissa glisser sur la pente douce du canal, arriva un beau jour dans les nappes d’eau qui baignent les terrains de la Ferme expérimentale, de l’Exposition et de Deep Cut, derniers tronçons de cours d’eau amputés par la coupe du canal, où il s’est multiplié d’une manière extraordinaire. De là il se répandit dans l’Ottawa qu’il descendit graduellement jusque près de son embouchure, sans pénétrer toutefois dans les eaux du fleuve Saint-Laurent.

Depuis longtemps, je voyais bouillonner l’eau du canal, par les temps calmes, au soleil couchant, sans pouvoir m’expliquer ce qui en était cause. Les enfants pêchaient sur le bord force barbottes et carpons, poissons de vase, mais de poissons ailés, de surface, ils n’en rapportaient jamais à la maison. Je m’avisai de pêcher à la mouche, et du premier soir, je fis une razzia de quarante à cinquante poissons vifs, couleur beurre frais, nuancés de taches vert-olive, très jolis à voir, que je reconnus être des crapets, mais des crapets d’une espèce que je ne connaissais pas. Depuis ce jour, quand le temps était au beau, jusqu’à la fin de septembre, rarement