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LES POISSONS

petites perles, comme fait la perche, ou encore, sur des rochers, du sable fin, dans des alvéoles ou des fissures pour y déposer les œufs parvenus à maturité. À peine sont-ils déposés, qu’avec une précipitation rageuse, le mâle s’élance vers ces œufs, non pour les dévorer comme on le pourrait croire, mais pour les féconder dans un suprême accès d’amour. Après l’éjaculation, l’animal épuisé est emporté par le courant ou se laisse choir au fond, à peu près inerte et sans aucune énergie. Post animal brute (voir le saumon).

Cependant, l’achigan fait exception à cette règle générale. Je ne prétends pas dire qu’il fait l’amour à la façon du ramier et du colibri, mais il conduit sa belle dans un lieu herbeux voisin d’eaux profondes, ménagées comme retraite, au cas de surprise, sur un fond de sable ou de gravier, avec dix-huit pouces au moins, et trois pieds au plus d’eau au-dessus ; puis, s’aidant du museau, des dents et de la queue, ils creusent, de concert, jusqu’à deux ou trois pouces de profondeur, de forme circulaire, ayant en diamètre à peu près le double de la longueur des occupants, leur lit nuptial qui sera en même temps le berceau de leur progéniture. En certains endroits, l’achigan creusera son nid dans la glaise, mais alors il en tapissera le fond de ramilles entrecroisées. Là ne se borne pas leur sollicitude. Les œufs une fois fécondés, père et mère restent à rôder autour du nid, jusqu’à l’éclosion, et plusieurs jours encore après que les alevins grouillants de vie tapissent le fond du lit comme d’un voile agité par le vent ; dans le but de les protéger — disent les uns — contre les crapets, les dorés et les brochets ; dans le but — disent les autres — d’amener à point un repas succulent digne à la fois de Saturne et de Brillat-Savarin. Faut-il ajouter foi à ces mauvaises langues ? Je crois plutôt que les généreux parents, ayant entouré de soins les petits jusqu’à l’éveil de leurs appétits, les voyant désormais en état de se sutfire à eux-mêmes, les chassent du nid et les dispersent dans les forêts herbacées d’alentour, pendant que, de leur côté, ils vont se refaire de longues et dures privations sur les troupes d’ablettes et de gardons paissant dans les prairies d’algues voisines. Qu’une famille de jeunes et tendres achigans se rencontre sur leur passage, ils ne se feront sans doute pas scrupule d’en prendre une bouchée, mais va-t-on leur reprocher d’en absorber quelques douzaines lorsqu’ils viennent d’en mettre à vie des milliers et des mille ?

L’achigan fait sa ponte, en général, au commencement des grandes chaleurs, vers la fin de juin et le commencement de juillet. Les vieux ménages donnent l’exemple, suivis bientôt des jeunes. Les nids en forme d’assiettes se touchent presque, et cela par centaines, dans des endroits favorables, le long des rives des lacs et des cours d’eau bien exposés au soleil. De douze jours à trois semaines, suivant les degrés de chaleur,