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L’ACHIGAN

sud, de légères bandes d’un brun sombre ; chez les spécimens adultes ces marques sont plus ou moins effacées et ils se revêtent d’un vert uniforme sombre, sans lustre argenté.

Ce poisson fréquente les rivières des États-Unis depuis la région des grands lacs jusqu’à la Caroline du Sud et l’Arkansas ; il abonde dans les courants rapides, surtout si les eaux sont claires et fraîches : vers le sud, les limites de son domaine sont déterminées par ces eaux. Comme poisson sportif, il est plus estimé que son congénère. »

M. Cheney, de Glens Falls, pisciculteur de haute lignée, nous cite comme extrême limite de taille ou de poids un achigan petite bouche de sept livres et quatorze onces, capturé à Long Pond, le 1er août 1877.


TEMPS DU FRAI


On dit le temps du frai pour les poissons comme on dit le temps du rut pour les mammifères, la saison des amours pour les oiseaux. L’achigan femelle est adulte à deux ans et prête à la parturition. Il est difficile d’expliquer à quelle sympathie obéissent ces animaux dans leur rapprochement sexuel ; leur corps est revêtu d’une véritable armure ; ils ont une langue taciturne, une bouche aphone faite uniquement pour mordre, pour déchirer et pour dévorer, l’antichambre d’un gouffre, leur estomac. Comment se recherchent-ils, à quelle influence obéissent-ils à l’époque du frai ? C’est un secret de la nature que l’homme ne pénétrera probablement jamais. C’est la femelle qui, d’ordinaire, fait les premiers frais en tournant autour du mâle et l’entourant de cercles magnétiques, peut-être ; d’une atmosphère chargée de subtils parfums, peut-être aussi. Des pêcheurs du Rhin qui pratiquent la pisciculture en petit, au baquet, mettent un saumon mâle à l’attache, quand vient l’époque du frai. Auprès de ce saumon sont tendus des pièges où la femelle vient souvent se faire prendre et servir à l’industrie de la reproduction artificielle. L’amour est-il magnétique ou olfactif chez les poissons, se fait-il par le toucher ou par le nez ? À d’autres de le dire : quant à moi, je l’ignore. Ce que je sais, c’est que des jours, et quelquefois des semaines avant le frai, les poissons s’accouplent ou se réunissent en groupes de plusieurs femelles pour un mâle — des sérails improvisés en route — toujours ou à peu près de même âge et de même taille, vivant en paix, se prêtant des soins plus attentifs. Tout à coup, la troupe s’arrête, tantôt sur un lit de gravier qu’ombragent de longues herbes tendues en forme de dais, tantôt près de la tige d’un fucus pour y nouer un long ruban garni de