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LES POISSONS

l’Europe n’a pas prêté un grand intérêt au conflit. Voulez-vous voir défiler la kyrielle des noms du doré ou lucioperca americana ? Prenez bien votre respiration, monsieur le plongeur de perles, car il y a long du commencement à la fin. Pour un essai, disons : “Sand Pike,” “Sauger,” S. canadense griseum ; C. lucioperca grisea ; S. canadense boreum, “Pike,” avec des variations locales, telles que “Blue Pike,” “Yellow Pike,” “Green Pike” et “Grass Pike.”

Dans l’Ohio, le Tennessee et la Caroline du Sud, il se nomme “Jack” et “Pickerel”.

“Glass-eye” et “Glass-eyed-Pike” sont fort répandus et acceptés.

Ailleurs, on le nommera Okaw, corruption de “Okun” et “Okunj,” les noms russes et polonais de la perche, suivant le professeur Goode, mais que je crois être simplement une corruption de Oka, nom du doré en algonquin. Il s’appelle encore “White Salmon,” “Jack Salmon”, tout comme s’il était un Jack Shepherd en train de jouer ou de déjouer la justice et la dignité des lois du pays. Mieux vaut traduire un auteur américain respecté et d’une grande sévérité, le professeur Goode lui-même, afin que mon témoignage, présenté un peu légèrement, mais sérieux au fond, ne soit suspect en aucune manière. Or, voici ce que je lis à la page 15 de “Good American Fishes :”

« La désignation de « saumon » est très souvent appliquée au doré dans des cours d’eau où il n’existe pas de salmonidés. Cela est surtout remarquable dans les affluents du Mississipi et de l’Ohio, ainsi que dans la Susquehanna. Des centaines de cas de capture de saumons, censés des sujets développés de la semence d’alevins déposés par les commissaires des pêcheries, ont été rapportés dans les journaux, durant les dix dernières années (daté de 1888), et presque toujours, lorsque les cas ont été examinés, il a été constaté qu’un humble doré était la cause innocente du rapport erroné. »

Le peuple se vengeait ainsi d’une science tortueuse par un coup droit.

What’s in a name ?

Plus humble, sans prétention autre que de donner un beau nom à un beau poisson, le Canadien-Français a appelé doré l’animal bariolé de tant de noms burlesques, et ce nom fait son chemin aux États-Unis et finira bientôt par effacer tous les autres.

Quels sont les titres de ce grand seigneur de nos eaux, voyageant sous d’aussi riches couleurs, quels sont ses droits et ses domaines ?

Ses titres ? Je les vois dans la perfection de ses formes, dans la magnifique panoplie de ses dards dorsaux, dans son armure bronze et or fin de chevalier, dans son grand œil brûlé, orné d’un chiasme dardant des rayons lumineux à rendre jaloux le kohinoor et le régent.