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LE BROCHET

rant à la force, à la vaillance, à la beauté, qui tâtonnent dans l’ombre ou dans la vase, sous le regard de Dieu.

Les Juifs ont appelé la dorée le poisson de saint Pierre ; les Américains ne pouvaient manquer de faire du brochet maillé, le brochet fédéral, du moment que les mailles dessinaient sur son corps treize figures algébriques, de forme quelconque, dont on fit la représentation géographique des treize États alors en incubation de la République sous l’égide de la Liberté.

À ce titre, le brochet maillé mérite assurément les hommages des cinquante-six États actuels sortis des treize États primitifs.

À combien de petites bêtes minuscules rangées sous le nom de darters n’a-t-on pas prêté les noms, soit de brochets soit de dorés, lorsqu’elles ne sont que des espèces en travail dont plusieurs tombent en avortement pour servir en quelque sorte d’engrais à des générations typiques et durables.

Dans le genre des ésocidés, le maskinongé doit être l’animal perfectionné. Or, si l’on en croit certains auteurs, il n’existe de vrais maskinongés qu’au Canada ; en conséquence, il mérite de notre part une attention particulière.

Mais, en terminant, disons ce que vaut le brochet pour la table, je cite :

« Comme mœurs, le brochet laisse beaucoup à désirer. Comme manger, sa chair exquise répond à toutes les exigences. On le savoure à la genevoise, à la Chambord, à l’italienne, à la sauce blanche, à l’étuvée, en casserole, en filets frits, en salade, en terrine, en tourte, en pâté chaud, Est-ce assez ? Ce doit être l’avis du brochet. Mais il convient d’ajouter que le triomphe de ce beau poisson, c’est la broche.

C’est la broche à rôtir, piquée d’anguille si l’on fait maigre, piquée de lard si l’on fait gras. Pendant la rotation doucement rythmée du brochet, on l’arrose de bon sauterne et de jus de citron. On doit servir ce rôti original sous une sauce au coulis, relevée d’anchois et d’huîtres assorties avec de fines câpres.

Si la chair du brochet est excellente, sa gloutonnerie est sans rivale. Son effroyable gueule, toujours ouverte pour engloutir une proie, avale, absorbe, engloutit tout. Le fleuve ou l’étang est son champ de carnage et son garde-manger. Dans sa voracité insatiable il ne distingue ni n’épargne les poissons de sa race. Le tigre, le lion, la vipère, le vampire, sont excellents pour leurs petits ; le brochet mange les siens. C’est le tyran de sa famille comme il est le fléau des fleuves et des rivières. On l’a surnommé le « roi des étangs ; » il n’en est plus que le bandit. Il ne règne pas sur les eaux, il les dépeuple.

Dans le fleuve des Amazones se trouve une espèce colossale de brochets fameux dans les annales de la gastronomie. À côté de ce monstre,