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PRÉSENCES

est clair, lumineux ; le tremble en perpétuel émoi ; comme le sorbier se joint à d’autres arbres, d’un mouvement presque identique. Tu distingueras aussi le marronnier et le tilleul ; et la série des arbres toujours verts : les pins, décimés, hélas ! les épinettes, les sapins, les cèdres et le mélèze dont on me dit qu’il roussit l’hiver, assez pauvrement.

Je me rappelle l’aventure d’Antoine Gérin-Lajoie. Lassé de la ville, il s’était dirigé vers les Cantons de l’Est pour se livrer au défrichement. Au début, il vivait dans l’inconnu : rien de ce qui l’entourait ne lui était familier, rien de la forêt qu’il avait résolu d’abattre. Peu à peu, il surprit le milieu nouveau qu’il avait élu : les arbres, les plantes, la valeur de la terre, les secrets du travail.

Gérin-Lajoie lamentait donc son ignorance de la forêt. Tire profit de cet aveu.

Il t’arrivera peut-être de rencontrer sur ta route un arbre abattu par la tempête, couché de son long, ses racines à jour. Considère-le, car ce spectacle vaut que l’on s’arrête à méditer devant lui. Quelle puissance, quelle emprise il révèle : on dirait un placenta monstre arraché à la terre nourricière. Les racines libérées restent étendues, éperdues, encore lourdes de sol, parfois emmêlées à des pierres. Repasse plus tard : l’arbre mort a vieilli, les pluies et les neiges ont lavé la terre ; les racines, blanchies sous le soleil, ne gardent plus que leur mouvement d’ivoire.

Les souches ! Elles sont chose familière dans notre pays de colonisation. Elles marquent l’étape entre la forêt et le champ cultivé. Si tu vas vers Québec, prends plutôt — pour une fois, même si c’est un peu plus long — la route des Bois Francs. Tu comprendras mieux ce qu’est un pays neuf. Tu auras devant toi un schéma de la conquête du