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ACADÉMICIEN

loin vers une terre étrangère les porte en lui et les repose sur les mêmes choses. On nous abandonnait poudrerie, dont nous sommes fiers, et qui exprime la tourmente d’hiver, émiettée, sèche, bourdonnante ; et voilà que poudrerie, qui existait déjà au xviiie siècle, aurait été trouvé, toujours en Normandie ; nous avions banc de neige, jusqu’à ce que nous l’ayons rencontré dans l’imagination poitevine ; on nous a prêté à la brunante que des dialectes pourraient revendiquer de très près ; l’amoureux est chez nous le cavalier et l’amie, c’est la blonde, par habitude de gens du Nord ; mais cavalier, c’est déjà le xvie siècle et la blonde, c’est une chanson militaire ; char, que nous opposons à tramway ainsi que des triomphateurs, est dans Lamennais.

Il reste tout de même enneigé, pont de glace, clair d’étoiles, que René Bazin nous emprunte ; patinoire, plus élégant que skating ; camp ou campement que nous préférons à camping ; et magasiner que nous offrons à la France pour ce que vaut shopping ; et des mots français que l’anglais a rapprochés, comme agent de station, des mots composés, et non sans mérite, des étymologies abracadabrantes, ainsi que l’on en constate en plein Paris, des métaphores dont quelques-unes sont jolies, des dérivations qui révèlent une formation sur place, des joyeusetés qui ne peuvent être d’ailleurs et où le peuple a mis sa marque goguenarde : des phénomènes linguistiques, dégagés par le maître de nos philologues, M. Adjutor Rivard, et qui auront plus d’attrait pour ceux qui s’intéressent à la langue pour la langue : la suppression de l’hiatus, l’agglutination de l’article, la transmutation des suffixes, la confusion des genres, qui se produisent chez nous comme en France, mais indépendamment et