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SOUVENIRS

elle a trouvé en elle-même la force suprême de créer.

À la vérité, il est difficile de fixer la limite de cet effort nouveau parce que nous ne savons pas toujours distinguer entre ce qui est de nous et ce dont nous avons hérité. Nous n’avons guère inventé ; et je songe, en le disant, à la voix du pays de Québec qui touche Maria Chapdelaine à l’orée des forêts du Nord et courbe sa volonté sur la tâche commune, en murmurant la chanson qui berce notre survivance : « Nous sommes venus il y a trois cents ans et nous sommes restés. Ceux qui nous ont amenés ici pourraient revenir parmi nous sans amertume et sans chagrin, car s’il est vrai que nous n’avons guère appris, assurément nous n’avons rien oublié. »

Et j’hésite à donner des exemples de mots qui sont vraiment de notre cru. Il en est certainement, ou du moins, pour reprendre une formule scientifique dont un vaudevilliste a souri sous la Coupole, tout se passe comme s’il y en avait. Les mots, dont on ne sait pas encore s’ils nous appartiennent, apparaissent sans indication d’origine sur l’interminable liste dressée par la Société du Parler français. Le regard, vite fatigué par les autres, va vers eux pour discerner, sous une graphie familière, le sceau de la race. Vain espoir : il faudra d’autres glossaires ou le retour de quelque fervent qui aura prêté l’oreille aux quatre coins de la France et apparenté nos orphelins.

Pourtant n’est-il pas un critère plus sûr que toutes les hypothèses : le milieu, c’est-à-dire, les habitudes qui cristallisent en mœurs, l’éternel recommencement des travaux humains, les certitudes du climat ? Eh bien, non ! Les mots n’ont pas de milieu, s’ils ont une patrie : l’homme venu de