Page:Moréas - Les Premières Armes du symbolisme, 1889.djvu/22

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serre, dans un monde absolument artificiel. Point d’antithèse plus tranchée.

Bien qu’ils n’aient, comme jadis les Parnassiens, ni éditeur commun[1], ni recueil à eux, où leur groupe apparaisse nettement délimité, ceux qui s’occupent de vers savent qui l’on désigne par ce nom ironique de décadents. Baudelaire est leur père direct, et toute l’école danse et voltige sur le rayon macabre qu’il a ajouté au ciel de l’art, suivant l’expression de Victor Hugo. M. Verlaine, qui a débuté dans le Parnasse sous l’influence de Leconte de Lisle, en est devenu l’une des deux colonnes avec ses derniers volumes : Sagesse, Romances sans paroles, Jadis et Naguère. L’autre est M. Stéphane Mallarmé qui, dès ses débuts, s’est révélé inintelligible et qui est toujours resté égal à lui-même. Quand les poètes, réunis dans l’entresol de Lemerre il y a quelque vingt ans, votaient l’admission de ses vers dans le recueil du Parnasse, qui leur eût dit qu’un jour viendrait où cet étrange rimeur, que l’on arborait comme un épouvantail, par pose, pour consterner le bourgeois, aurait un jour ses disciples qui trouveraient la plupart d’entre eux bourgeois eux-mêmes, vulgaires et tout à fait vieux jeu ? Non seulement M. Mallarmé a rencontré des lecteurs qui le comprennent, ce qui est déjà une preuve bien convaincante de l’infinie bonté de Dieu, mais il a trouvé des admirateurs d’autant plus fanatiques qu’ils

  1. Le libraire Léon Vanier, qui semble ambitionner de devenir le Lemerre de cette poésie nouvelle, a publié quelques-uns des volumes de M. Verlaine et tient un assortiment de Décadents.