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sentent que l’objet de leur admiration est plus inaccessible. M. Jean Moréas, auteur des Syrtes[1], M. Laurent Tailhade, auteur du Jardin des rêves[2], M. Charles Vignier, M. Charles Morice, complètent la troupe. Nous pourrions citer quelques poètes encore en qui des traces décadentes sont visibles, mais ils s’en défendent et nous ne voulons point les affliger.

D’après les œuvres de l’école, et Floupette nous venant en aide, voici comment nous nous représentons le parfait décadent. Le trait caractéristique de sa physionomie morale est une aversion déclarée pour la foule, considérée comme souverainement stupide et plate. Le poète s’isole pour chercher le précieux, le rare, l’exquis. Sitôt qu’un sentiment est à la veille d’être partagé par un certain nombre de ses semblables, il s’empresse de s’en défaire, à la façon des jolies femmes qui abandonnent une toilette dès qu’on la copie. La santé étant essentiellement vulgaire et bonne pour les rustres, il doit être au moins névropathe. Un habitué du café de Floupette se glorifie d’être hystérique. Si la nature aveugle s’obstine à faire circuler dans ses veines un sang banalement vigoureux, il a recours à la seringue de Pravaz pour obtenir l’état morbide qui lui convient. Alors « les splendeurs des songes transcendants » s’ouvrant devant lui, il s’arrange extatiquement une existence factice à son gré. Tantôt, comme M. Moréas, il se croira prince en Tartarie :

  1. Chez Léon Vanier.
  2. Chez Lemerre.