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Page:Moréri - Grand dictionnaire historique, 1716 - vol. 1.djvu/33

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PRÉFACE
DE LOUIS MORERI.

ON a tellement décrié depuis quelque tems les Préfaces des Livres, que divers Auteurs ſe ſont diſpenſez d’en mettre au commencement de ceux qu’ils ont donnez au public. J’ai pourtant crû que je ne les devois point imiter en cela ; & qu’il y a bien des choſes , dans mon Ouvrage, qu’il étoit important de faire remarquer à ceux qui ſe donneront la peine de le lire. Je dois avouer de bonne foi, que ce n’eſt point une vaine démangeaiſon d’écrire, qui m’a engagé à compoſer ce Dictionaire. Ce ſont mes Amis ſeuls, qui l’ont voulu abſolument, qui m’y ont forcé, & qui ont eû aſſez bonne opinion de moi, pour croire que je pourrois réuſſir dans cette ſorte de travail. L’amitié préoccupe furieuſement : elle ſe fait fête de rien, & elle ſe croit tout permis, quand il s’agit de diſpoſer du loiſir des perſonnes, qu’elle engage. Ceux avec qui je ſuis uni, par ce doux lien, parurent ſatisfaits de quelques Piéces que j’ai déja données au public ; & ayant vû des Remarques de l’Hiſtoire que j’avois faites pour mon uſage, ils s’imaginerent que je n’aurois pas bien de la peine à les ranger par ordre Alphabetique, & en former le Livre que vous voyez. L’inclination particuliere que j’ai toûjours euë à connoître les grands Hommes, qui ont vêcu dans chaque Siécle ; & l’étude des Conciles, & des affaires Eccleſiaſtiques, où ma profeſſion m’a engagé, perſuadoit encore à mes amis qu’il me ſeroit facile de compoſer un Dictionaire, qu’un d’eux nommoit l’Encyclopédie de l’Hiſtoire ; Et que ce mêlange curieux des choſes ſaintes & proſanes, ſeroit extrémement utile au public. Je donnois dans leur ſens, pour ce dernier point ; mais l’exécution d’un deſſein ſi vaſte & ſi univerſel me faiſoit peur. Je ne pûs pourtant me diſpenſer de l’entreprendre. C’eſt préſentement à vous, Mon cher Lecteur, à juger ſi j’ai bien réuſſi. Je ne m’en flate pas : je ſai que le plus parfait des hommes a ſes défauts, & le Soleil même ſes taches. Un Livre, pour excellent qu’il ſoit, n’a pas le privilege de la Manne d’être agreable à toute ſorte de goûts : & ſouvent de certains endroits, qui plaiſent aux uns, ſont tout-à-fait inſupportables aux autres. Si cela eſt indubitable, pour les Ouvrages ordinaires qui ne traitent qu’un ſujet en particulier, il l’eſt bien davantage pour un Dictionaire Hiſtorique, où l’on eſt obligé de parler de tant de choſes differentes. Il faut pourtant avouer que cette ſorte de Piece eſt bien utile & bien néceſſaire, même pour les gens de Lettres. C’eſt pour cette raiſon que divers Auteurs anciens y ont travaillé, même devant S. Iſidore & Suidas ; mais leurs Ouvrages ne ſont pas tous venus juſques à nous. Dans le XVI. Siécle, Thomas Eliot, Gentilhomme Anglois, célebre par l’amitié de Thomas Morus, eut la curioſité de faire un Recueuil de tous ceux qui ont compoſé des Dictionaires, dans un Traité intitulé Bibliotheca Dictionaria. C’eſt ce que nous apprenons du docte Pitſeus, dans ſon Livre des illuſtres Ecrivains d’Angleterre, car je ne penſe pas que cette Piece ait jamais été imprimée.

Mais peut-être que les Curieux ſeront bien aiſes de ſavoir quelle a été la deſtinée des Dictionaires Hiſtoriques ; & qui a été le premier , dans le XVI. Siécle, qui s’eſt donné la peine d’y travailler. Eraſme avoue, en quelque part, qu’il avoit eu deſſein d’en compoſer un, pour le ſoulagement de ceux qui commençoient à lire les Poëtes : mais il n’exécuta pas ce deſſein. Un Auteur anonyme, qui ſe dit des amis d’Eraſme, en publia un vers l’an 1534. Cette Piece imprimée à Bâle, ne fut pas beaucoup eſtimée ; auſſi n’étoit-elle qu’un recueuil de quelques mots tirez du Dictionaire d’Ambroiſe Calepin, qu’on avoit reimprimé à Veniſe, avec une augmentation conſiderable. Quelque tems après, Jean Cibenius Allemand, publia un Dictionaire intitulé, Lexicon Hiſtoricum ac Poëticum. Cet Ouvrage eſt très-bien conduit, & il fut imprimé à Lyon, chez Geofroi Beringue en 1544. Depuis Charles Etienne en compoſa un nouveau, qu’il rendit auſſi Géographique ; & comme l’on en fit diverſes éditions, on ſe donna la peine de l’augmenter toutes les fois qu’on le mit ſous la preſſe. Mais comme ce Livre avoit été mis en un Volume in quarto, on le trouva trop incommode pour les écoliers, & c’eſt ce qui donna la penſée d’en faire un abregé, ſous le nom d’Amaltheum Poëticum & Hiſtoricum, tel que nous l’avons aujourd’hui. Cependant le Dictionaire d’Etienne étoit eſtimé. Le Sr. de Juigné Broiſſiniere, Angevin, en fit une traduction en François, avec des additions, ſelon les connoiſſances qu’il pouvoit avoir, & pour s’accommoder à nôtre uſage. Mais comme preſque toutes ces additions ſont tirées des Ouvrages de Magin & de Sebaſtien Munſter, qui ſont des Auteurs peu eſtimez, pour avoir trop donné dans les fables, ce nouveau Dictionaire eſt peu utile pour les jeunes gens, qui ne ſavent pas faire la diſſerence de ce qui eſt veritable, d’avec ce qui ne l’eſt pas, C’eſt ce que mes amis me diſoient, pour me perſuader d’entreprendre cet Ouvrage. Nous en avons un, qui eſt appellé Bibliotheque Univerſelle, compoſé par le Sr.Boyer. C’eſt un gros Dictionaire in folio, qui contient pluſieurs noms propres d’hommes, de païs, de villes, d’animaux, de plantes & d’autres choſes expliquées aſſez au long, en quelques endroits de ce Livre. Il y a ceci de particulier, que ces noms ſont rangez ſelon les terminaiſons, de ſorte que c’eſt proprement un Dictionaire de rimes. Les verbes s’y trouvent dans tous leurs tems & leurs perſonnes ; avec tous les mots François qu’on peut former, comme les compoſez, les derivez & les diminutifs. Cet ordre renverſé eſt plaiſant à conſiderer.

Outre ces Dictionaires dont j’ai parlé, nous en avons d’autres qui ſont excellens, comme le Poëtique de Robert Etienne, celui des Villes d’Etienne de Byzance, ou, comme les doctes le nomment, de Stephanus, & le Géographique d’Ortelius & de Ferrari, tel que nous l’avons, augmenté par Mr. le Prieur Baudrand ; ſans parler du Philoſophique de Goclenius, du Chimique de Rutlandus , du Mathématique de Daſypodius & de Vitalis, & de quelques autres pour la Juriſprudence, pour la Médecine, & des Vocabulaires pour les mots Grecs & Latins. Ces Livres ſont d’une merveilleuſe utilité, & les gens de Lettres en ont fait une eſtime particuliere. Celle qu’on a eu pour les Ecrivains célebres, a donné la penſée à ceux qui les ont ſuivis, d’en dreſſer des Catalogues, pour conſerver leur mémoire à la poſterité. C’eſt ce qui a été heureuſement executé par pluſieurs Auteurs de toute ſorte de Nations, comme ſaint Jerôme, Gennade, Honoré d’Autun, S. Ildefonſe, S. Iſidore, Sigebert, Henri de Gand, Tritheme, Sixte de Sienne, le Cardinal Bellarmin, & divers autres. Quelques Auteurs ont dreſſé des Catalogues de tous les Ecrivains Grecs & Latins. Conrad Geſner de Zurich a ſervi de guide à tous ceux qui aiment ces Ouvrages, dans la Bibliotheque des Auteurs qui ont vêcu juſques à ſon tems. Elle fut ſi bien reçûe que Lycoſthene, Antoine du Verdier Vauprivas, & quelques autres tâcherent d’aquerir de l’honneur, en y ajoûtant le nom de quelques Piéces qui y manquoient. Joſias Simler en fit un Abrégé. Le docte Antoine Poſſevin Jeſuite, a ſuivi