Page:Moréri - Grand dictionnaire historique - 1759 - vol. 1.djvu/69

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ou empereur des Abissins, il a le titre de Beyve-Jan ou Belulgian, qui veut dire Jean estimé. D’autres ajoutent que les Chaldéens le nomment Jean-Ancone, c’est-à-dire, précieux & grand ; & qu’à proprement parler, ce titre lui est donné par rapport à un anneau que donna Salomon à la reine de Saba, & qui est héréditaire dans la famille du Negus. L’Abissinie a été autrefois bien plus grande, plus riche & plus coníidérable, qu’elle ne l’est depuis environ deux siécles. Car les Arabes, les Turcs, & principalement les Galois ou Gales, en ont enlevé depuis les meilleurs royaumes. Les Maures y avoient déja usurpé tout ce qui est le long du golfe arabique. On comprenoit autrefois sous le nom d’Abissinie, tous les pays qui s’étendent depuis le lac Niger jusqu’au détroit de Babelmandel, en largeur du couchant au levant ; & ceux qui sont situés depuis les montagnes de la lune jusqu’aux cataractes du Nil en longueur, du midi au septentrion. L’Abissinie avoit au midi le Monomotapa ; au levant le Zanguebar & la mer Rouge ou de la Mecque ; au septentrion l’Egypte & la Nubie ; & vers le couchant le pays des Negres & le royaume de Congo. Aujourd’hui les choses sont entierement changées. Les Abissins n’ont plus de port, & ils ne sauroient aller à la mer sans passer par les terres qui obéissent aux Turcs. Les états qui leur restent sont, Tigré, Dambea, Begamedri, Goyame, Amhar, Narea, Magaza, Ogara, Saiait, Holacit, Semen, Segueda, Salao, Ozeca, Doba, & quelques autres provinces. Ils avoient autrefois Angole, Doare, Adea, Balli, Alemali, Ogge, Gans, Oxello, Botexamora, Curague, Buzama, Bugamo, Marabet, Mantz, Bizamo, Oifate, Gedem, Gambato, Doxa, Aura, Conch, Gumar, Mota, Damut, Holeia, &c ; mais l’an 37 du XVI siécle, les Gales, peuples voisins des Abissins, étant enrtés dans la province de Ballé, se rendirent maîtres d’une partie de l’Abissinie. Le Turc y a Suaquen & Erquico, sur la mer Rouge.

Le pays d’Abissinie est fertile en quelques endroits, & l’on y trouve grande quantité de grains, & particulierement du millet & des légumes. On dit aussi qu’on y trouve en quelques cantons des vignes qui sont élevées comme des treilles, & qui produisent de bons vins. Cependant la boisson la plus ordinaire des Abissins, dans les pays fertiles, est du cidre fait de pomes sauvages. Quelques relations particulieres disent que dans les provinces fertiles on moissonné trois fois l’année, parcequ’on y seme d’abord après avoir fait la récolte ; c’est principalement dans celles qui ne manquent point d’eau. On y fait une boiíson que les Abissins appellent Tzed ; elle est très-agréable, & c’est proprement de l’hydromel. L’air y est assez tempéré, si ce n’est dans les Vallées où il fait ordinairement chaud. Le pays étant rempli de montagnes, il doit être riche en mines, & surtout en or. On trouve par-ci par-là des grains de ce métal de la grosseur d’un pois, dans le royaume de Damota, & surtout dans celui d’Enaréa. Les Abissins n’ont point d’argent, soit que la nature ne leur en ait point donné, soit qu’ils ne sachent point le tirer de la mine & le séparer. Ils ont de l’aversion pour ce travail, & disent qu’il y auroit de la folie à amasser des richesses, qui porteraient les Turcs avares à leur faire la guerre.

Mœurs et Gouvernement Des Abissins.

Les Abissins en général sont adroits, vigoureux, & ne manquent point d’esprit ; mais ils sont fort paresseux, & l’oisiveté les rend inutiles presque pour toutes choses. Les Portugais les ont un peu animés pour le commerce. Ils sont ou noirs ou basanés, & vivent longtemps. Les guerres qu’ils ont été obligés de soutenir contre leurs voisins, & principalement contre les Gales, les ont rendus moins oisifs, & leur ont inspiré plus d’ardeur pour l’exercice des armes. Leurs forces consistent en cavalerie. Ils ont coutume d’aller au combat armés de morions, de cottes de mailles, de boucliers, & de piques ferrées par les deux bouts. L’infanterie combat avec des fléches & des dards, plusieurs avec des frondes, & d’autres montent des éléphans, d’où ils tirant contre les ennemis. Ils n’ont connu l’artillerie & les armes à feu que par le commerce des Portugais, qui les ont servi utilement dans leurs guerres. Dans l’empire des Abissins on ne voit aucunes forteresses, parceque ces peuples ne mettent point, disent-ils, la force d’un pays dans les pierres & les murailles, mais dans les bras & dans les armes des combattans ; aussi demeurent-ils toujours à la campagne pour être plus aguerris. Il n’y a dans chaque province qu’un logis de pierre, qui sert de douane & d’hôtel de ville, où demeure le gouverneur ; & quand il est ailleurs, ce logis demeure ouvert, & personne n’oseroit y entrer, parcequ’il seroit châtié comme un rebelle. On dit que les Abissins sont naturellement bons, & outre cela religieux jusqu’à la superstition. Ils sont fidéles & soumis à leur prince, & l’aiment avec beaucoup de tendresse & d’attachement. Ils se piquent de cette même fidélité pour les prêtres, ausquels ils portent un très-grand respect, aussi-bien qu’aux églises & aux lieux saints. La langue éthiopienne est fort ancienne & très-belle, c’est la langue savante du pays ; mais la langue vulgaire est différente & partagée en différens dialectes, qui sont ceux d’Amhar, de Tigré, de Dembéa, & de Gonch ou d’Enaréa.

Les Abissins comptent une très-grande suite de leurs empereurs, même avant la reine de Saba, qui vint visiter Salomon ; mais ce qu’ils en rapportent est rempli de trop de fables, pour en fatiguer l’esprit du lecteur. Dans le VI siécle, vers l’an 522, & sous l’empire de Justin, un certain Elesban, roi des Abissins, fit la guerre à un prince Juif qui persécutoit les chrétiens, & il le défit. Les princes de ce pays se disent descendus d’un David très-sage & très-puissant. Vers l’art 1265 ou 1270, Jeum Nuamlach se rétablit sur le trône que la famille de David avoit possédé, & qu’on avoit usurpé sur elle depuis quelque temps. David succéda en 1507 à son pere Nahu, & se fit admirer par ses victoires & par sa sagesse. C’est lui qui envoya défi ambassadeurs au pape Clément VII, & à Emanuel, roi de Portugal. Il prenoit ces titres, selon Marmol : David, aimé de Dieu, colonne de la foi, du sang & de la lignée de Juda, fils de David, fils de Salomon, fils de la colonne de Sion, fils de la semence de Jacob, fils de la main de Marie, fils de Nahu par la chair, empereur de la grande & haute Ethiopie, & de tous les royaumes & états qui en dépendent, &c. L’empereur donne ou ôte, quand il lui plaît, le gouvernement des pays de son obéissance. Mais la charge de viceroi de Tigré est héréditaire : le gouvernement du royaume de Dambea demeure toujours dans la famille des Cantibas, qui descendent des princes à qui ce pays appartenoit anciennement ; & il y a encore quelques autres provinces, dont les gouverneurs possedent cette qualité par droit de succession. L’empereur vend ordinairement les gouvernemens ; & les gouverneurs font ensuite d’étranges exactions sur les peuples, qui n’osent s’en plaindre. Autrefois les deux betaudets ou favoris, avoient presque toute l’autorité entre les mains ; mais l’empereur a établi un raz ou premier ministre en leur place, dont le pouvoir s’étend sur tous les vicerois, sur les xumos ou gouverneurs, & sur les azages & les umbares, c’est-à-dire, les conseillers de l’empereur & les juges souverains. Le généralissime même des armées est au-dessous du raz. L’empereur prend pour ses pages des esclaves de différentes nations, comme Agaus, Gongas, Cafres ou Ballous, qu’il éleve ensuite aux plus grandes charges de l’empire, parceque ces gens servent avec plus de fidélité que les nobles du pays. L’empereur donne des terres aux officiers & aux soldats, dont ils jouissent tant qu’ils sont à son service ; c’est la seule