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nouveau qu’il avait pu apprendre… à moins que son insuccès l’eût rempli de mauvaise humeur.

— Peut-être aussi, les articles que je continuais à écrire régulièrement dans le « Soir » n’étaient-ils pas de son goût ; pourtant, loin de tirer la couverture à moi, je m’ingéniais toujours à le mettre en évidence… Prenait-il cela pour de l’ironie ? Il avait tort…

Au journal, ainsi que l’avait prédit Rivoire, le succès de mon enquête revêtait un intérêt littéralement sensationnel. Chaque matin, un volumineux courrier arrivait à mon nom : encouragements, compliments, conseils, enfin toutes les élucubrations possibles de lecteurs, sans omettre naturellement les menaces, critiques et lettres anonymes…

Cependant, à mesure que le temps passait, la difficulté que j’éprouvais pour rédiger mes papiers croissait. Je manquai d’éléments nouveaux capables de tenir le public en haleine. Mon imagination seule pourvoyait à la carence d’informations fraîches et je me sentais bientôt à court d’arguments.

Avec impatience, j’attendais le résultat de l’enquête menée à Casablanca ? Qu’en sortirait-il et Delbarre tiendrait-il sa promesse de me faire part des nouvelles ?

Un matin, la sonnerie de ma porte retentit. Il était à peine dix heures. Qui pouvait bien venir ? Je pensais à Delbarre. J’allai ouvrir et me trouvai en face de Pierre Landry…

— Vous ! fis-je. Qu’arrive-t-il ?

— Oh ! rien de particulier… Je venais prendre un peu l’air sur les lieux du crime…

— Ne plaisantez pas avec cela, mon cher…

— Mais je ne plaisante pas, Nicole, au contraire, répondit Pierre Landry avec gravité… Je vous apporte des tuyaux sensationnels…

— Quoi ! fis-je, suspendue à ses lèvres. Vous avez appris quelque chose…

Il inclina la tête affirmativement…

— Hier au soir, l’idée m’est venue d’aller faire un tour à l’ « Antilope»… Tout à fait par hasard d’ailleurs, je vous l’avoue et sans même réfléchir à votre affaire… J’ai revu Antonio et c’est lui qui m’a parlé de vous ; m’a demandé ce que vous deveniez… Il semble vous porter un vif intérêt…

— Il aurait pu dans ce cas, me le témoigner d’une façon moins… discrète, quand j’y suis allée…

— Ne le calomniez pas, Nicole… Dans ce milieu il faut savoir tenir sa langue, sinon… D’ailleurs ce n’est pas lui qui m’a raconté…

— Quoi ! Que vous a-t-on dit ?

— Attendez ! Du calme, bon sang… Que vous êtes donc nerveuse… C’est un copain d’Antonio, un nommé Jim qui m’a confié « en douce » — mais ne répétez pas d’où vient le renseignement, surtout.

— Vous n’avez rien à craindre, Pierre…

— Eh ! bien, il paraît que le soir du crime, votre « pianiste » est venu à l’ « Antilope » sur le coup de huit heures… Il a bu, puis, sans que personne sache pourquoi, il s’est soudain disputé avec un habitué de l’ « Antilope » : Bobby, dit « l’Érudit ». Ça commençait à tourner au vinaigre, quand Antonio est arrivé pour les séparer.

— Pas d’histoires, ici, a-t-il dit… Si vous avez du linge sale, allez le laver ailleurs…