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Page:Moreau - Œuvres inédites, 1867.djvu/130

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Puis j’ajoutais tout bas, palpitant, l’œil mouillé :
Qui s’inspira si bien doit sentir la pitié.

Hélas ! quand il évoque une infortune morte,
Le poète pieux, s’il savait qu’à sa porte
L’immortel Chatterton vit encor pour souffrir !
S’il savait qu’à Paris, tous les jeunes poètes,
De ce bruyant désert pâles anachorètes,
N’ont plus, en s’abordant, qu’un salut à s’offrir :
Le salut monacal : « Frères, il faut mourir. »

Que l’un d’eux, demi-nu, dans sa chambre malsaine
Pousse un drame réel à sa dernière scène,
Et sans étoile au ciel, sans bon ange ici-bas,
Pour éviter la faim, courant au suicide,
Tient levé, maintenant, sur son estomac vide
Le fer qui découpait le pain de ses repas
Et qui, depuis trois jours, trois longs jours ! ne sert pas !

Puis, se ressouvenant qu’il est bien jeune encore,
Qu’après l’hiver, l’oiseau se ranime et picore,
Que ses chansons vivraient peut-être s’il vivait,
Qu’un ange sur son front, marqué de l’anathème
Peut l’effacer un jour avec ce mot : Je t’aime !
De mille illusions repeuplant son chevet,
Dans les bras de la Faim s’endort… S’il le savait !

Poète, il aiderait la jeune muse à vivre ;