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entendant un hou-hou lugubre, cherchaient le hibou de malheur qui les menaçait. Alors, au sommet d’un kopje, ils voyaient reparaître le Zoulou, dont le corps presque nu faisait avec sa monture noire comme un bronze superbement moulé, héroïquement campé sur un socle de granit. Ils couraient à bride abattue, ne s’arrêtant que d’heure en heure pour étancher leur soif, car le sable du veldt, soulevé par les sabots, leur desséchait vite la gorge, malgré la précaution prise de se cacher la bouche avec leurs mouchoirs. Cette souffrance ne les empêchait pas cependant de goûter une sorte de volupté saine et forte ; c’était la tension à outrance de tous les muscles, de toutes les énergies physiques et morales mises en œuvre pour une fin passionnément désirée, et cela, dans le désert dans un pays jamais vu auparavant, où l’immensité de l’espace donnait l’immensité de la liberté, où la plaine toujours renaissante permettait la jouissance inépuisable de la sensation de vitesse. Stenson et Wigelius rayonnaient. Le premier, à l’une de leurs haltes, dit à Dolbret :

— Merci de m’avoir amené ici ; c’est le plus beau sport que j’aie fait depuis bien des années.

— Moi aussi, dit Wigelius.

— Tant mieux, mon cher ami, répondit Pierre ; tant mieux si vous vous amusez en vous sacrifiant pour moi.

— Le sacrifice est agréable répondit Stenson quand on court ainsi, sans autre souci que celui de la vitesse à acquérir et du chemin à dévorer, on oublie presque.

Pourtant Dolbret n’oubliait pas ; sa course, à lui, c’était la course folle, effrénée, vers le bonheur, vers l’idéal.