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sait relever la tête et les lançait dans l’espace avec une force nouvelle.

Tout à coup un cri jaillit de toutes les poitrines : comme s’ils se fussent heurtés à une muraille, les chevaux venaient de s’arrêter brusquement.

— Qu’y a-t-il ? dit Wigelius.

— Je n’en sais rien on dirait qu’ils ont peur.

— Je déchire le ventre du mien, dit Dolbret, dont la voix tremblait, mais il n’avance pas.

— Le mien non plus, dirent les deux amis.

— Ils sont fourbus.

— Qu’allons-nous faire ? nous sommes perdus, la bande est sur nous ; l’entendez-vous galoper ?

Les chevaux se cabraient et hennissaient ; sous la blessure des pointes d’acier ils allongeaient la tête et faisaient mine de repartir ; mais ils semblaient ne pouvoir faire un pas ; leurs sabots, à demi enfoncés dans la boue, n’en pouvaient sortir, ils restaient comme noués au sol.

Le guide, la tête baissée, attendait. Dolbret allait l’interroger, quand il le vit se pencher sur le col de son cheval et, avec une expression de terreur, étendre le bras en avant. Les trois amis virent alors un spectacle d’une horreur indicible.

C’était, à perte de vue, dans le veldt, une armée à moitié ensevelie, des bataillons en déroute que la terre, comme entr’ouverte par un cataclysme, aurait saisis dans leur fuite et enlisés à jamais ; une forêt de têtes rongées où pendaient des restes de chair dédaignés des corbeaux repus ; des crânes déjà verdis par les tempêtes, à demi couverts de casques rouillés où les vents avaient accumulé du sable ; des jambes braquées vers le ciel, comme si