Page:Morelles - Les diamants de Kruger, 1906.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 45 —

— Il y en a une, je l’ai attachée à la petite chaloupe.

— Vous êtes un bon homme, vous ; terrinée de bluets, ça commence à faire. J’ai pris un couteau à ressort qui traînait dans une cabine, ça pourra nous servir. Ce n’est pas voler ; en voyage comme ça, on fait ce qu’on peut. Vous qui savez la théologie, qu’en pensez-vous ?

— Sois tranquille, et, au souper, tâche de prendre du pain, que tu cacheras dans tes poches ; nous serons sur l’eau peut-être quelques heures de plus que nous ne le pensons.

Le temps se couvrait un peu et le navire ralentissait sa marche, à cause d’une brume, très légère cependant, qui embrouillait l’atmosphère. Le soleil descendait ; il semblait porté tout doucement dans l’abîme par un être mystérieux dont ses rayons multicolores illuminaient la face. Le spectacle était merveilleux : c’était comme la marque immortelle de Celui qui a fait l’immensité des océans. Dolbret oubliait ses malheurs pour se plonger dans cette poésie, trop grande pour les yeux, mais jamais trop grande pour l’âme dont les aspirations sont infinies ; il oubliait même le danger pour contempler la féerie que le grand architecte faisait au sein des flots avec un peu de sa lumière.

Mais l’heure avançait et depuis longtemps l’ombre avait envahi toutes choses, que Dolbret était encore accoudé, songeur, aux plats-bords. En se cachant dans la chaloupe, les deux conspirateurs réussirent à passer inaperçus, à l’heure du couvre-feu. Tout dormait, à peine entendait-on quelques mots prononcés de temps en temps par des