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fois, se déversait dans le Tecka, puis dans le rio Corintos, dans lequel elle finira par se vider tout-à-fait des qu’une crue violente ou l’érosion aura détruit la mince paroi qui aujourd’hui retient les eaux. On traverse ensuite un défilé de 1120 mètres de hauteur pour descendre à la vallée de Tecka si renommée parmi les indiens et les blancs.

Dans les diverses vallées que nous avons traversées, depuis le Commissariat, j’ai observé les mêmes dépôts sédimentaires de Pichileufu qui, à mon avis, sont miocènes. Les coteaux herbeux et abrités, où abondent les guanacos et où les pumas causent de grands dégâts dans les troupeaux des nouveaux habitants qui commencent à arriver, sont en pentes douces.

Nous passâmes la nuit au bord de la rivière Caskell ou Caquel — selon la prononciation. On voit apparaitre de nouveau les blocs de granit qui ne se trouvent pas sur les cimes du petit chaînon, et qui me paraissent provenir du mont granitique Caquel, aujourd’hui peu élevé, mais qui a été détruit par les glaces. Nous rencontrons des ravins de roches sédimentaires, probablement tertiaires, dans lesquelles quelques colons ont recueilli des restes fossiles de mammifères que, malheureusement, je n’ai pas pu voir. Tout le territoire que nous traversons jusqu’à la vallée du fleuve est fertile.

Dans la maison de commerce de la vallée m’attendait le cacique Sharmata et peu après arriva le vieux cacique Foyel, mon hôte du Musée pendant plusieurs années, qui a préféré retourner a la chasse (à las boleadas) des guanacos et des autruches. Musters nous raconte l’habileté de Foyel à la chasse, et plus d’une fois, ce septuagénaire m’a procuré avec ses sûres boleadoras (boules) des autruches et des guanacos. Foyel m’attend pour m’accompagner ; Sharmata ou Sacamata, chef actuel de la tribu, regrette de ne pouvoir aussi se joindre à nous ; son père, mon vieil ami Pichicaia, doit venir à ma rencontre dans les environs de Gennua. Je suis heureux de revoir ces indigènes après tant d’années, et de constater leur adaptation, bien lente, il est vrai, à la civilisation. S’il était possible de défendre la vente de l’eau-de-vie à ces pauvres indiens, les estancieros auraient des serviteurs de premier ordre dans les descendants des tribus qui furent maîtresses de ces terres et qui aujourd’hui errent sans patrie. Musters en a rencontré quelques uns à Tecka, en 1871, j’y ai vécu en 1880 avec Inncayal et Foyel, et ce dernier y a encore ses tentes ; mais on l’a déjà averti qu’il devra déloger de la vallée, parce qu’elle est acquise par un « monsieur » de Buenos Aires.