Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/115

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part, en effet, d’un bon naturel, c’est de la générosité, cela. Pourquoi nous prie-t-on d’en rire ? Mais la foudre menace le Chêne : le Roseau se félicite de sa petitesse qui le défend des grands dangers. Ce Roseau est un malin, c’est le cousin du Renard ; il nargue le Chêne, — le Chêne qui va mourir ! La Fontaine n’a même pas le respect de la Mort ! — Et d’ailleurs pourquoi oublie-t-il que, ce Roseau si fier d’être petit, le pied d’un passant va l’écraser ?

Cette triste morale, ce fond noir et mauvais d’un génie si charmant, peut-être est-il injuste d’en faire La Fontaine seul comptable. Ne touchons-nous pas ici la résultante naturelle de tout un siècle d’investigation psychologique, qui fut une bonne éducation de la raison, mais dont les résultats objectifs et immédiats ne pouvaient être que la fatigue, le dégoût même et même le désespoir de raisonner, parce qu’on avait raisonné à vide, sur une humanité chimérique, sans mouvement et sans corps ? Qu’ont-ils trouvé, ces Poëtes qui ont choisi les passions pour champ de leur rêve, ces Moralistes qui ont étudié les ressorts du Vice et de la Vertu ? Corneille ne nous montre que des héros, c’est lui qui a la plus haute estime de l’humanité et qui lui fait le plus honneur : mais il lui fait vraiment trop honneur, il l’estime trop haut et son humanité guindée n’est pas la nôtre. Son Sublime perpétuel désespère et en nous comparant à sa