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Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/126

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s’arrête où commencerait Dieu. C’est là seulement que cesse et s’évapore le génie de Shakespeare, comme se perd l’éclat d’une étincelle dans le feu d’un brasier. Je me trompe : il est limité encore par les bornes de son art, de cet art sans conscience, l’Art Dramatique qui fige la fiction centrale autour de quoi évolue captive la passion qui voudrait s’envoler.

Un Poëte qu’on peut citer même après Gœthe, M. Théodore de Banville l’a remarqué ; « Certes, j’adore Shakespeare, et ce n’est pas dire assez ; il est pour mot le dieu de la poésie, et je comprends Berlioz qui l’évoquait et l’implorait comme un père, dans ses chagrins d’amour. Mais toute fiction, tout événement dramatisé et mis en scène a le tort d’être d’un intérêt très inférieur à celui qu’excitent en nous les développements dont le poëte l’a embelli, et tandis que les mouvements de l’âme humaine, exprimés par lui, sont éternellement variés et inattendus, l’événement reste immuable et nous tyrannise par la persistance obstinée de l’affabulation. » Plus d’une fois Shakespeare a tenté de rompre cette entrave, dans ses comédies féeriques, par exemple, et dans l’Hamlet dont on n’a pas, aussi ! manqué de dire que c’est un drame insuffisamment scénique. Le public de son théâtre, ce grave et violent peuple anglais, qui se complaît volontiers dans la tristesse à condition qu’on l’en repose par des bouffonneries