Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ce qu’un autre ne sait pas. Les génies sont comme les femmes : ils n’ont pas de rang. — Victor Hugo usurpe un rang qui n’est pas. Son originalité est faite de l’imitation de tout le monde. En tout il se crut le premier ? Il était le second en presque tout. Il débute par des Odes que Lefranc de Pompignan eût signées et continue en recevant de toutes mains, sans rien trouver par lui-même. Il imite Shakespeare, Chateaubriand, Byron, Lamartine, Alfred de Vigny, Théophile Gautier, Leconte de l’Isle. D’ailleurs il imite avec génie, il a l’originalité d’être plus abondant que ses modèles ; il a le tort aussi de relâcher tous les ressorts qu’il touche. Il est plus éloquent que personne : mais l’éloquence n’est que grandiloquence, qui ne parle pas au nom de solides croyances. Quelles sont les croyances d’Hugo ? Il aime Voltaire ! Il osera dans une même phrase associer ce nom à celui de Jésus ! et ses vers philosophiques ne sont faits que de noms propres. — Il est vrai qu’il a les prodigieux mérites de ses prodigieux défauts. Cette audace qui lui permet de risquer partout son don de phraser l’a conduit au bord de toutes les intuitions. Mais son œuvre est impersonnelle et gonflée, — vide.

(Ces choses paraîtront chanceuses à dire : on ne les dit pas sans y avoir songé. Elles paraîtront manquer de respect au génie : elles sont fondées sur ce respect même. Victor Hugo a opprimé son temps. Il ne faut pas qu’il opprime l’avenir. Il