Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/156

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martine, à cette fantaisie claire et royale, naturelle et qui ne se surveille pas, à ce génie superbement ignorant du procédé comme de toute chose qui s’apprenne. — Elle serait plus juste si elle avait la mémoire meilleure, si elle se rappelait la chose triste qu’était la Poésie française avant que Lamartine parlât. Elle était sans verbe ni sentiment, sans rhythme ni rime, une chose morte et sans nom, un idéal perdu. C’est Lamartine qui lui rendit l’idéal et la vie, le souffle, l’harmonie, l’ampleur ; Il fit l’expansion qui était nécessaire pour que Baudelaire pût faire la concentration. Notre injuste génération devrait se souvenir qu’elle doit à Lamartine la possibilité des Poètes qui l’ont suivi. — À lui-même elle doit, au prix de négligences qui vont à l’oubli, des vers d’un lyrisme unique et qui sont encore dans tous les bons souvenirs.


Quand le souffle divin qui flotte sur le monde
S’arrête sur mon âme ouverte au moindre vent,
Et la fait tout à coup frissonner comme une onde
Où le cygne s’abat dans un cercle mouvant ;
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Quand d’un ciel de printemps l’aurore qui ruisselle
Se brise et rejaillit en gerbes de chaleur,
Que chaque atome d’air roule son étincelle
Et que tout sous mes pas devient lumière ou fleur ;
....................
Quand tout chante on gazouille ou roucoule ou bourdonne,
Que d’immortalité tout semble se nourrir
Et que l’homme, ébloui de cet air qui rayonne,
Croit qu’un jour si vivant ne saura plus mourir,