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stupéfiants de vérité, et nous initie aux détails du quotidien énorme d’une maison de commerce ou de banque. — Pour d’autres, dont le monde intérieur est un enchantement qui les console de vivre, « C’est la vie qui est le rêve[1] ». Pour Stendhal, c’est son rêve qui est la vie. L’idée de la passion, plus que la passion-même, le captive. C’est une grande intelligence passionnée.

Alfred de Vigny, un Raphaël noir, un solitaire, une âme hautaine et tendre et blessée, — un Porte. Toujours en conversation silencieuse avec lui-même sur les plus graves sujets des réflexions humaines, il sort rarement de son silence pour écrire avec une sorte d’amère et sauvage joie — une joie qui n’est pas l’ironie cruelle du désespoir car le Poëte puise dans la fierté de son intégrité, dans la conscience de son honneur, la force de vivre et la vertu d’aimer — quelqu’une de ces pages sombres et pures, La Mort du Loup, La Maison du Berger, Le Jardin des Oliviers, frémissante protestation, révolte, autrement profonde que toutes celles de Manfred, contre l’injustice du Dieu qui aurait fait les conditions de notre vie.


S’il est vrai qu’au jardin sacré des Écritures
Le Fils de l’Homme ait dit ce qu’on voit rapporté,
Muet, aveugle et sourd au cri des créatures,
Si le ciel nous laissa comme un monde avorté,
Le Juste opposera le dédain à l’absence

  1. M. Théodore de Banville.