Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/21

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transporter le mystère dans l’explication[1] » C’est tromper les hommes ; avec de dégoûtantes prétentions au positif et un grand appareil d’apparences solides, c’est donner aux gens l’habitude de se payer de mots. Je crois bien que nous en sommes au temps dont parlait Swédenborg : « La lumière spirituelle est descendue du cerveau dans la bouche, là elle apparaît comme l’éclat des lèvres et le son de la parole est pris pour la Sagesse même[2]. »

Du moins, il semble évident qu’entre l’ensemble d’une société ainsi pétrie d’erreur et les âmes éprises de Vérité et de Beauté nulle alliance n’est possible.

Avec la Foule, ce trésor de forces instinctives, la Foule, capable d’erreurs, elle aussi, aisément séduite à ce qui luit — mais à ce qui luit ! — le Poëte était en communion naturelle : l’union d’une âme et d’un corps ! L’Esprit vivifiait à son gré une matière docile. Elle n’était certes pas ignorante à demi, la Foule, mais elle se l’avouait et

cet aveu la constituait en état de perpétuelle

  1. M. de Villiers de l’Isle-Adam.
  2. Les Savants ont encore, au regard du Poëte, un autre tort, lié sans doute à celui qu’on vient de dire, plus apparent que lui, mais, en somme, moins grave et qu’excusentde plus ou moins légitimes représailles : autrefois la littérature avait envahi le domaine de la science, aujourd’hui la science envahit celui de la littérature. Représailles et réactions sans responsabilités humaines.