Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aiguise l’angoisse, où les héros dutriste rêve voient grimacer les visages de leurs cauchemars. — Le sens de l’Exception, le sens Spirituel (singulier) de la Beauté dans l’intensité et enfin le sens Lyrique de la Science, — voilà les trois plus glorieux titres de Poe à l’admiration éternelle. On demande comment la Science et l’Art feront le grand accord sur quoi compte l’avenir ? Pascal, Balzac, Edgar Poe, M. Villiers de l’Isle-Adam le savent. L’Art touchera du pied la Science pour prendre en elle l’assurance d’un fondement solide et d’un élan la franchira sur les ailes de l’Intuition. Lisez Eurêka, ce roman et ce poëme, cette vaste explication religieuse, scientifique et lyrique dont le Faust est jaloux. — Comme caractère fondamental de la Beauté, Poe indique la Mélancolie. Je ne perdrai ni le respect ni la sagesse en disant qu’à l’heure où écrivait Poe tel était, en effet, le caractère essentiel de la Beauté : en parlant aujourd’hui comme il parlait alors, on parlerait contre sa profonde pensée. Notre vie étant cette chose affreuse, tant que l’Art n’a pas eu les moyens d’une réalisation parfaite de nos rêves de bonheur, il devait en effet se maintenir dans le deuil des joies que la vie nous refuse et qu’il ne pouvait encore réaliser en rêve. Poe n’a pas connu Wagner. Il en était à cette heure comparable aux vigiles des fêtes chrétiennes, où l’Église prescrit à ses fidèles toutes les tristesses physiques et morales afin que la fête du