Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/217

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vers ne servait plus qu’à peindre l’aspect extérieur des êtres et des choses, d’être parvenu à exprimer l’inexprimable, grâce à une langue musculeuse et charnue qui, plus que toute autre, possédait cette merveilleuse puissance de fixer avec une étrange santé d’expressions, les états morbides les plus fuyants, les plus troublés des esprits épuisés et des âmes tristes[1] ». — Il a, lui, consacré la triste vigile à ouvrir des chemins secrets dans les abîmes de l’âme. Il a mesuré la grandeur du mal, de l’artifice et s’en est perversement épris, sans bonheur et comme un qui lui-même, par amour pour la Justice, prononcerait sa propre damnation. Baudelaire est un sensuel condamné au mysticisme, étranger à toute explication scientifique et, perdu sur les flots du vice moderne, les considérant avec un regard sévère de prêtre latin, — sans doute de mauvais prêtre, d’autant plus sévère, — latin et traditionnel par son haut goût de moraliste, par la logique de sa pensée en plein rêve, latin et romain par la force carrée de son génie bref, — non pas court, — très sûr, riche, sombre, par sa poétique-même et surtout par sa rhétorique, par l’incisive concision de son style. À la fois, Baudelaire a trouvé le vers moderne et retrempé le génie français dans ses sources vives, sans plus lui tolérer les libertés illogiques où il se dépravait. Il a concentré

  1. Le même.